Par Jean Coté, Président de division Québec (jean.cote@skipatrol.ca)

L’histoire commence dans les belles journées d’automne, bien avant que la neige envahisse les sommets. Dans l’Ouest, la lumière frappe les crêtes. Le vent des Prairies siffle. Plus à l’Est, les couleurs automnales annoncent la saison qui s’en vient. Partout, les patrouilleurs se retrouvent pour la requalification. Il faut se le dire : ce n’est pas le processus le plus passionnant de notre année de patrouille. Et pourtant, c’est là que nous réaffirmons qui nous sommes et que nous prenons un vrai plaisir à retrouver nos confrères de glisse.

Nous connaissons le rituel : montrer, pratiquer, signer. Ici, l’ancienneté ne dispense de rien; que tu aies déjà manœuvré des traîneaux en écorce de bouleau « 2-man banane », que tu aies un « Doctorat en soins préhospitaliers » (ou presque) ou que tu entames ta 3e année, on suit tous le même parcours. On ne doit pas tourner les coins ronds. C’est ça, notre professionnalisme : la même exigence pour chacun, sans broncher.

Élise (nom fictif) se présente donc à la journée de requalification pratique. Douzième saison, elle connaît la chanson. Elle s’est déjà tapé les heures de formation en ligne, au moment qui cadrait le mieux avec son horaire. Ce n’est pas parfait (il y a place à l’amélioration), mais c’est mieux que de devoir sacrifier un autre beau samedi d’automne ensoleillé. Elle sourit au mannequin de RCR : « Salut toi, on se revoit chaque année, toi et moi. » Sur la table : protocoles, listes de présence, formulaires en attente de signature. C’est moins inspirant que le tapis parfait d’une piste enneigée, mais ça sent la tranquillité d’esprit.

La matinée file. Stabilisations, voies respiratoires, oxygène, bandages. Les gestes reviennent, propres, fluides. On corrige un détail ici, on ajuste un angle là. Dans le coin, l’instructeur coche les cases : modules complétés, MVF valide, attestations classées. Élise lève les yeux : « C’est beaucoup de paperasse. » Il sourit : « Oui. Et c’est ça qui transforme nos compétences en preuves ». Ce n’est pas si passionnant, nous le savons, mais c’est précisément ce qui nous rend fiers d’être conformes et sereins quand il faut rendre des comptes. Dévoué et généreux de son temps, l’instructeur, lui a déjà pris un week‑end de son temps bénévole pour se recertifier et de s’assurer d’offrir le meilleur de ses compétences à Élise.

En fin de journée, la boucle est bouclée pour Élise. Le même mannequin de RCR qu’elle saluait au matin est rangé, les formulaires qu’elle avait déposés sur la table sont maintenant signés, et les modules en ligne qu’elle s’était planifiés « quand ça cadrait » figurent cochés dans la chemise. L’instructeur glisse les attestations dans la pochette.

« On est bons? »

« On est **prêt? ** »

Et on est prouvable car quelque part dans la saison peut-être, en plein mois de février, le pire arrive pour l’un de nos patients. L’équipe a travaillé parfaitement selon notre protocole; « by the book » comme on dit. Les décisions ont été solides, les traitements justes et adéquats, mais l’issue demeure malheureusement irréversible.

Et c’est là que la réalité s’invite : un coroner ou un avocat met son nez dans le dossier. On enquête, on rouvre tout le processus de requalification, comme si on rebobinait le film. Est‑ce que tout y est? Signatures, présences, requalifs à la lettre, nombre d’heures adéquat? Sommes-nous impeccables; car désormais, on parle de conformité, de gouvernance et de responsabilité. Car nous comprenons que selon les constats, la taille du problème peut vite passer de « S » à « XXL » si une seule case manque. Et en plus, au Québec, comme ailleurs, la formation des patrouilleurs est encadrée par un règlement. Une non-conformité grave pourrait compromettre notre capacité à qualifier des patrouilleurs au Québec et même ailleurs au Canada.

Simplement de la rigueur, juste du professionnalisme : montrer, pratiquer, signer. Ce n’est pas la partie la plus passionnante de la saison, mais c’est celle qui nous rend fiers d’être conformes et sereins si un jour on doit rouvrir le dossier.

On ne sort pas les confettis. On sait que nous venons de renouveler la promesse : la qualification n’est pas un passeport à vie, c’est un engagement que l’on tient, sans broncher, pour nos équipes, nos stations et surtout pour les personnes que nous accompagnons quand ça va vraiment mal.

Voilà ce que nous emportons en quittant le local : chaque signature est une main tendue plus sûre, chaque module coche une paix d’esprit de plus, chaque requalification nous rassemble autour d’une même norme. Soigner juste. Documenter juste. Agir juste.

La rigueur appartient à tous : recrues, instructeurs, vétérans. Elle ne s’emprunte pas; elle se pratique, elle se prouve, elle se transmet. Soyons fiers de la cultiver et de la faire vivre, ensemble.

Demain, la montagne nous attend. Même équipe, mêmes réflexes, mêmes preuves. Faisons une saison qui ressemble à ce que nous sommes : professionnels, fiers, fiables.

Compétents et capables de le prouver. À chacun sa trace, à tous la même norme.

Notre requalification : l’histoire d’une promesse que l’on renouvelle

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